Crédits photos : Laëtitia Cabanne / L’Esprit du Judo
Les Ours Judo Club (Tarn-et-Garonne)
Presque sept-millions de judokas dans l’Hexagone, dont deux-cent-mille à Paris et plus d’un demi-million dans le Grand Est… Imaginer une France à l’image de la ville de Grisolles donnerait presque le tournis. Certes, cela reste une projection, mais dans ce village situé à mi-chemin entre Montauban et Toulouse, dix pour cent de la population prend chaque année sa licence chez Les Ours, le club de judo de la ville ! « Pour autant, nous sommes loin d’être repliés sur nous-mêmes, anticipe Benoît Fouilleul, professeur arrivé il y a quatre ans. C’est d’autant plus valorisant qu’une grande partie de nos adhérents habite à plus d’une demi-heure de route du dojo où ils pratiquent. » Un maillage territorial rare, résultat de vingt-huit ans d’investissement de son fondateur, Patrick Ferrara (portrait ci-dessus). Une histoire ordinaire à première vue, celle d’un judoka prometteur au niveau national forcé de tourner le dos à la compétition après une vilaine blessure contractée chez les juniors. Elle gagne toutefois en épaisseur lorsque, incapable de couper le cordon avec la discipline où il a baigné toute sa jeunesse, Patrick Ferrara crée Les Ours de Grisolles en 1994. À peine majeur – son père, professeur de judo troisième dan, lui a prêté main forte la première année – et quasiment autodidacte, il suscite une certaine méfiance auprès des professeurs de l’époque. Un vent contraire pas suffisamment puissant pour faire plier l’Occitan. « J’ai fait de ce scepticisme général mon principal moteur, se souvient-il. Comme presque personne ne croyait en moi, j’ai décidé, plutôt que de les imiter, de dispenser un enseignement singulier. » La doctrine des Ours de Grisolles ? Privilégier la pratique, peu importe le moyen. Dès l’âge de quatre ans, en famille ou en musique, déguisés pendant le carnaval et Halloween, les cours atypiques du club et sa philosophie de pratique à tout crin en ont progressivement fait l’identité. Et le club de s’imposer comme l’un des meilleurs formateurs de la région, comptant quelques judokas inscrits sur les listes de haut niveau parmi les cent-trente-cinq conduits jusqu’à la ceinture noire. Parmi eux, Nys Chadburn en vue chez les minimes et cadets il y a quelques saisons, mais aussi Jehanne De Bouard et Anja Loubiére, respectivement championne de France cadettes et victorieux de la coupe de France minimes cette année. Surtout, la sphère judo associe depuis longtemps maintenant Les Ours de Grisolles à l’universel Tournoi des cinq continents. Une idée née au contact du monde vétérans par Patrick Ferrara en 2008. « J’avais l’ambition de rassembler autour d’un tournoi d’importance dans le Tarn-et-Garonne, à la nature inédite. En plus des clubs français, nous avons contacté quelques amis rencontrés lors des tournois internationaux vétérans, en espérant que certains feraient le déplacement… Sept-cents judokas d’une dizaine de pays avaient finalement répondu à l’appel », explique l’actuel directeur technique. Forts du succès engendré, Les Ours renouvellent l’expérience deux ans plus tard, malgré l’absence de subventions et le casse-tête économique des débuts. « Parfois, on peut se demander pourquoi nous faisons cela. Quelles raisons nous incitent à dormir deux heures par nuit pendant le tournoi ? Simplement la gratification qu’une telle organisation soit un succès ! Et voir les jeunes nous tomber dans les bras sourire aux lèvres et larmes aux yeux après une victoire », sourit Martin Escarpit, qui enseigne aux Ours depuis une dizaine d’années. Un événement désormais reconnu, victime de son succès ? Presque, puisqu’après plusieurs éditions à Grisolles et une salle désormais trop exiguë pour les trente-cinq nations et le… millier de compétiteurs qui les représentent, la sixième édition du prestigieux rendez-vous se déroulait cette année dans la commune voisine de Saint-Sauveur. « À ma connaissance, le Tournoi des cinq continents reste le seul tournoi de club qui propose un tel échange culturel en France, tous sports confondus, poursuit Martin Escarpit. Cela correspond aussi à notre volonté d’en faire, au-delà d’un tournoi, une grande fête du judo. » À l’arrivée, un rendez-vous à la croisée des grands tournois internationaux et du gala, mêlant show de pom-pom girls et défilé de personnages de Star Wars à la solennité d’un cortège de délégations façon JO. Un moment unique, suivi de deux jours de stage en compagnie de Darcel Yandzi, visant à proposer toujours plus de judo aux délégations présentes. Une habitude en revanche pour les licenciés grisollais, dont les stages aux quatre coins de l’Europe et du monde sont systématiquement financés par la structure. « Je pense que vous avez compris pourquoi, » lance Patrick Ferrara en guise de conclusion. Pratiquer, toujours, la patte des Ours.
Rédaction par la revue l’Esprit du Judo